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France : comment la prison s'adapte à ses vieux détenus

L’ambiance est presque bucolique dans l’allée principale de la prison de Toul (Meurthe-et-Moselle), ce mercredi 4 juillet. Les fleurs du jardin, entretenu par les détenus, prennent un bain de soleil. Ce centre de détention renferme pourtant une aile baptisée “le couloir de la mort”, au deuxième étage. Y séjournent 43 prisonniers âgés et dépendants, une population particulièrement élevée ici. “On a du cancéreux, des poches [urinaires ou de colostomie]”, énumère un gardien devant ses écrans de surveillance.

Toul ne fait pas complètement exception. Si la population française vieillit à l’extérieur, elle prend également des rides derrière les barreaux. Les plus de 50 ans représentent désormais 12% des personnes écrouées. C’est six fois plus qu’en 1980. Or, l’état de santé d’un quinquagénaire en prison est comparable à celui d’un homme de 65 ans.

L’administration pénitentiaire est obligée de s’adapter, bon an mal an. Cellules médicalisées, aides-soignants “à domicile”, lits palliatifs… De quoi donner des airs d’Ehpad à certaines prisons. Mais jusqu’où faut-il aller dans la prise en charge du troisième âge et de la dépendance en “milieu fermé” ? Une peine de prison a-t-elle encore du sens pour un détenu atteint de la maladie d’Alzheimer ou sénile ? Est-il normal de rendre son dernier souffle en étant privé de liberté ? Autant de questions auxquelles les professionnels que nous avons interrogés et rencontrés tentent de répondre au quotidien.

CELLULES SPACIEUSES, LITS MÉDICALISÉS ET GYM DOUCE

Jacques, chemise rayée et jogging à rayures, regarde la télé, assis sur son lit médicalisé. Ses chaussures orthopédiques, sa barbe et ses cheveux gris trahissent son âge. Mais cela fait longtemps que ce détenu, âgé de 68 ans, est invalide. “Je suis hémiplégique du côté droit depuis vingt-deux ans”, indique-t-il, sans détacher les yeux de l’écran. En cause, un AVC survenu alors que Jacques était déjà “à l’ombre”.

J’ai pris perpète, on m’a mis chez les pointeurs.
Jacques, détenu hémiplégique de 68 ans

Cela fait douze ans que Jacques purge sa peine au centre de détention de Toul. Après avoir passé quatre ans en détention classique, il est l’un des premiers à avoir bénéficié de l’aménagement de la “galerie A” en 2010, une aile située au deuxième étage du bâtiment A. Sa cellule fait 22 m², avec, fait rarissime en détention, une salle de douche intégrée et adaptée aux personnes à mobilité réduite. Si ce n’est la présence de barreaux à sa fenêtre, on pourrait se croire dans une chambre d’hôpital ou de maison de retraite.

Jacques aimerait tout de même partir. Il n’a “aucune visite depuis trente ans”.“Je serre la main de certains surveillants“, se console-t-il. En février 2018, il a fait une demande de libération conditionnelle pour, pourquoi pas, intégrer une maison de retraite. Il n’est pourtant pas le plus vieux ici : l’aîné de la galerie A est âgé de 88 ans. Alors que la moyenne d’âge des personnes incarcérées au niveau national s’établit à 33 ans, celle de cette prison s’élève à 47 ans et demi. Et 43% des détenus y ont plus de 50 ans (contre 12% au niveau national). C’est pourquoi le centre détention de Toul a adapté ses locaux.

À cet âge-là, on ne peut pas être trois en cellule avec des matelas par terre.
Charlotte Picquenard, directrice adjointe du centre de détention de Toul

Ici, pas de problème de surpopulation. Les 43 détenus de l’aile se partagent 24 cellules spacieuses avec, pour quatre d’entre elles, une porte élargie pour laisser passer les fauteuils roulants. Quatre cellules sont médicalisées, comme celle de Jacques.

Pourquoi autant de seniors ? Sur ses 427 détenus, Toul accueille une majorité d’auteurs d’infractions à caractère sexuel, dits “AICS” dans le jargon pénitentiaire. Des profils plus âgés que la moyenne puisque la répression pénale des crimes et délits sexuels s’est renforcée dans les années 90. Les peines encourues et les délais de prescription ont été progressivement rallongés par la loi.

Cette politique s’accentue aujourd’hui. Avec le projet de loi du gouvernement, adopté en première lecture au Sénat le 5 juillet dernier, une personne victime d’un viol lorsqu’elle était mineure pourra porter plainte jusqu’à ses 48 ans (contre 38 actuellement). Plus les victimes peuvent dénoncer les faits tardivement, plus les auteurs sont âgés quand cette dénonciation intervient. C’est le cas de Claude Polet, un ancien pédiatre angevin.

Âgé de 86 ans, il a été condamné en appel, en novembre 2016, à deux ans de prison ferme pour des agressions sexuelles commises dans les années 1980 et 1990 sur plusieurs de ses petites patientes. “Ma demande d’aménagement de peine a été rejetée par le juge d’application des peines, j’ai dû faire appel”, souligne son avocat, Antoine Barret, qui a finalement obtenu le port d’un bracelet électronique.

Claude Polet, visé par d’autres plaintes pour viol, devait être jugé en juin aux assises mais son procès a été reporté en décembre pour des raisons de santé. “Il est hospitalisé. Il perd la mémoire et ne se rappelle même plus de ses premiers procès”, observe son avocat. Dans ces conditions, sa place est-elle en prison ? Son conseil s’interroge : “On peut avoir des doutes sur la capacité de la justice à respecter la dignité humaine dans ce cadre.

Si l’on crée cette nouvelle catégorie de population carcérale, il faut mettre les moyens pour les accueillir.
Antoine Barret, avocat de l’ancien pédiatre Claude Polet, âgé de 86 ans.

Dans le long couloir de la galerie A, le rythme s’accélère. Il est 11h30. Les repas vont être servis et les portes, ouvertes depuis le début de matinée, vont se refermer. Les détenus, qui ont la clé de leur cellule, circuleront de nouveau librement entre 13h30 et 18h30. L’âge des “pensionnaires” permet cette souplesse. “Les seuls incidents sont d’ordre médical”, signale la directrice adjointe. Sur les 947 extractions effectuées en 2017, 882 l’étaient pour raison sanitaire.

Avec les soucis de santé, l’oisiveté est l’autre problématique de l’établissement. Après 65 ans, les détenus ne travaillent plus. Il faut donc les occuper avec des activités adaptées. Certains retournent à l’école, d’autres participent à des ateliers “ludiques” pour stimuler la mémoire. “Les échecs, aussi, fonctionnent bien, explique Aurélia Pitaud, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation à Toul. On les emmène faire des tournois à l’extérieur.” Sur le plan physique, certains détenus, comme Jacques, pratiquent la gym douce et le pilate toutes les semaines. D’autres le jardinage, sur des parcelles surélevées, pour éviter d’avoir à se baisser. Lorsqu’on lui pose la question, Charlotte Picquenard le reconnaît : elle a parfois l’impression de gérer une maison de retraite plutôt qu’une prison.

UN DÉTENU QUI S’IMPROVISE AUXILIAIRE DE VIE

A peine entamée, la visite de l’aile sanitaire du centre détention de Toul, au rez-de-chaussée, tourne court : un détenu du bâtiment A, âgé de 51 ans, fait un malaise vagal. “Il est par terre, en PLS (position latérale de sécurité)”, résume l’interne en médecine, sac de secours sur le dos. Elle monte avec la médecin dans les étages supérieurs. Quelques minutes plus tard, l’équipe redescend avec Jacky, qui pousse le malade dans un fauteuil roulant. “L’auxi”, qui a interrompu sa distribution de repas, est essoufflé.

À 64 ans, ce détenu s’investit depuis deux ans dans ce travail rémunéré 328 euros par mois. En détention, l’auxi (pour “auxiliaire”) est un détenu nommé responsable d’étage. Il est en charge du nettoyage et de la distribution des repas. Mais dans la galerie A, les tâches de Jacky vont bien au-delà. Jacky a, par exemple, dû gérer un détenu sénile qui étalait ses excréments sur les murs. “C’est dur car on n’est pas équipés pour”, glisse-t-il, les bras croisés, dos au mur.

Quand il y a quelqu’un qui ne peut pas se retenir, je suis là.
Jacky, 64 ans, “auxi” de la galerie A du centre de détention de Toul

On n’aurait pas parié sur lui mais on a été agréablement surpris”, confie la directrice adjointe. “Ce n’est pas facile mais cela donne un sens à sa détention”, ajoute-t-elle. Avec près de trente ans de prison au compteur, ce multirécidiviste hâlé et souriant s’investit corps et âme dans sa mission. “Ça donne de l’air”, explique-t-il, joignant le geste à la parole.

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