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Source : Marianne (30/03/2020)

Actualité

France : "Ce que j'ai fait ne mérite pas que je crève ici !"

Problème de "cantine", absence de mesures de protection sanitaire, bagarres violentes à cause du manque de shit, un détenu de la prison d'Osny raconte à Marianne ses conditions de détention. Et sa crainte de mourir en cellule à cause du virus.

Problème de “cantine”, absence de mesures de protection sanitaire, bagarres violentes à cause du manque de shit, un détenu de la prison d’Osny raconte à Marianne ses conditions de détention. Et sa crainte de mourir en cellule à cause du virus.

Au bout du fil, Raphaël (un nom d’emprunt) est tendu. Il s’arrête de parler quelques secondes. “Faut que je fasse gaffe, la dernière fois que des détenus ont parlé à la presse, ils se sont mangés cinq piges ! C’était les images de Fleury-Mérogis, d’ailleurs y avait cet enculé de Coulibaly dans le lot”, poursuit-il. Raphaël n’a rien d’un enfant de cœur. Ce trentenaire est incarcéré depuis trois ans à la maison d’arrêt de Osny-Pontoise dans le Val-d’Oise. Il avait écopé d’une peine de cinq ans ferme lors de son passage devant les juges.

La raison ? Un casier judiciaire déjà chargé et une embrouille dans un quartier qui s’est terminée par une altercation avec une arme à feu. “J’ai merdé, une vraie connerie. Mais j’assume ma peine. C’est pas un problème. Par contre, ce que j’ai fait ne mérite pas que je crève ici !”, s’alarme-t-il.

Depuis le début de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19, la situation des prisons est particulièrement préoccupante. Pour les personnels de la pénitentiaire comme pour les détenus. Lors d’une récente enquête, Marianne révélait déjà l’état critique des prisons françaises avec plusieurs cas de tentatives de mutinerie. Des violences nourries par la colère des détenus face à la suppression des parloirs et leur crainte d’une propagation du virus au sein des établissements pénitentiaires

Le 18 mars, sur Snapchat, un appel à la mutinerie, adressé à tous les détenus de France, avait ainsi circulé à vitesse grand V. “Blocage de toutes les promenades. Faites des mutineries, vraiment, casser (sic) les grillages, leur exhortait le message. Il faut vraiment vraiment sortir de ce pétrin !” Pendant plusieurs jours, des débuts d’émeutes et de mouvements de protestation avaient éclaté un peu partout dans l’Hexagone.

“A Maubeuge, ils ont tabassé des surveillants ! Là-bas, c’est des gars avec des peines à deux bougies. Ils ont rien à perdre”, raconte Raphaël. Au centre de détention d’Uzerche, en Corrèze, la situation a violemment dégénéré. Les vidéos et les images que nous avons récupérées parlent d’elles-mêmes. C’était le 22 mars dernier. Bilan de cette journée et nuit d’émeute : deux bâtiments hors d’usage et 333 détenus transférés.

“On n’est pas en sécurité ici”

A Osny, il y a également eu des mouvements d’humeur, mais moins graves. Pour le moment en tout cas. Car le virus a dorénavant pénétré les murs de la prison. “Ils viennent d’ouvrir une aile covid, il y a déjà trois ou quatre gars qui l’ont chopé. Plus ceux qui sont suspectés. La semaine dernière, ils ont envoyés quatre gars à l’hôpital. Ils étaient tous entassés dans la même cellule. Donc si y en a un qui l’a, forcément les autres le chopent aussi”, s’inquiète-t-il. Et les mesures prises pour décontaminer la cellule après l’évacuation de ces quatre détenus n’ont rien pour le rassurer : “*Ce sont des Auxi (des “auxiliaires”, des détenus qui travaillent pour l’administration pénitentiaire ndlr) qui ont dû le faire. On m’a montré les vidéos. OK, les gars ont des masques, gants et combinaisons. Mais imagine, il y en a un qui fait une connerie et qui chope le virus… Eh bien après, il réintègre sa cellule, la cour, et potentiellement, il nous contamine putain !”*

Les dernières nouvelles ne font que confirmer ses inquiétudes. Le rappeur MHD, en détention provisoire depuis sa mise en examen pour homicide volontaire il y plus d’un an, a été testé positif au coronavirus : “Même lui a chopé cette merde ! Alors qu’il est la prison de la Santé, dans la section VIP, avec sa propre cellule individuelle. Lui, il vit mieux que nous tous réunis. On n’est pas en sécurité ici !” A Osny, aucunes mesures particulières n’ont été prises pour empêcher la propagation du virus entre détenus. Les douches, “dégueulasses”, continuent d’être collectives. “Au lieu de dépenser des millions d’euros pour installer des brouilleurs dans les prisons, ils auraient dû mettre des douches dans les cellules. En plus ça marche pas leur merde, regarde, on parle depuis tout à l’heure et y a pas de problèmes”, peste-t-il.

Le CoviD-19 se propage en prison

Depuis l’annonce du confinement, la prison d’Osny tourne au ralenti. Plusieurs surveillants ont été arrêtés selon les informations de Raphaël. Conséquence, “il y a des mecs qui font normalement les extractions judiciaires qui remplacent les surveillants des étages. Ils sont clairement en sous-effectif”, explique-t-il.

Autre problème, la “cantine”. En détention, les détenus ont la possibilité d’acheter des produits de la vie courante : nourriture, des cigarettes, produits d’hygiène ou d’entretien, etc… De quoi améliorer l’ordinaire. Mais depuis plus d’une semaine, rien n’arrive dans les cellules.

“On a pu cantiner que de l’eau et des cigarettes. Ils nous livrent encore les clopes pour éviter qu’on pète un câble. Pour le reste, c’est mort. La surveillante qui est chargée de ça, on ne l’a pas vu depuis trois semaines.”

Sauf qu’en période de Covid-19, se contenter de s’alimenter avec les repas fournis par la prison, s’apparente pour Raphaël “à la roulette russe” :“Ce sont les détenus qui font la distribution. Qui te dit qu’il a pas toussé au-dessus de ta gamelle ? Pourquoi ils ne nous donnent pas juste des trucs fermés ? Avec des chips sous emballage ou des boîtes de thon, au moins, on est sûr”. Des restrictions de cantine qui sont venues alimenter le business de quelques uns. “Il y a des types qui ont volé des poulets ou des cordons bleus dans les stocks qui les vendent sous le manteau. On achète avec des recharges PCS à 50 euros. Normalement, c’est pour le shit ça”, peste Raphaël. La drogue est également un autre soucis.

La suppression des parloirs a tari l’un des chemins d’approvisionnement du shit. “C’est pas le seul mais je ne peux pas te dire les autres”, rigole le détenu. Reste que les barrettes se font plus rares, “le shit c’est devenu du pétrole !” Ce qui provoque des tensions dans les coursives : “Les gros fumeurs, ils sont à cran. Les mecs deviennent agressifs. Samedi, à la promenade de 15h, il y a eu une énorme bagarre à coup de béquilles. Heureusement, on a réussi à les séparer. Ça aurait pu mal se finir. Il y a eu également des suicides. Ça, plus la fin des parloirs, certains ne tiennent pas“.