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France : au coeur du nouveau quartier pour radicalisés

Les deux surveillants, vêtus de leur gilet pare-lame, s’avancent jusqu’à la cellule individuelle. “C’est bon, il est au fond, contre la fenêtre”, informe le premier après avoir localisé le détenu à l’intérieur. La porte blindée, équipée de passe menottes, s’ouvre après un tour de clé. “Bonjour monsieur, séance de sport, invite le second. Ouvrez la bouche ! Montrez vos mains ! Passez-vous la main dans les cheveux !” Les premières vérifications faites, à distance, le détenu sort, pour être plaqué contre le mur du couloir en vue d’une palpation de sécurité… Protocole respecté.

Hier, quelques jours après l’ouverture du nouveau quartier pour la prise en charge des radicalisés (QPR) au centre pénitentiaire de Luynes, le seul dans le Sud, les journalistes invités à la visite du site ont eu droit à la démonstration. Dans le rôle du détenu radicalisé, un surveillant. Du “vrai”, le seul pensionnaire pour l’heure de ce quartier “étanche” du reste de la détention, on saura tout juste qu’il a été condamné pour des faits de terrorisme, qu’il a entre 20 et 40 ans et qu’il a été orienté en QPR après avoir passé quatre mois dans un des six quartiers d’évaluation existants. Au cours de cette période, une équipe pluridisciplinaire (éducateurs, psychologues, surveillants, spécialistes religieux et de la géopolitique) a scruté ses manies, disséqué son discours, analysé ses silences et ses regards afin “de déterminer son niveau d’imprégnation idéologique dans le salafisme djihadiste, son positionnement par rapport aux faits ainsi que les facteurs de risque”. “Diagnostiqué” plus prosélyte que violent, il a donc été orienté en QPR, afin de l’isoler des autres détenus et éviter “la contamination”. “Mais auparavant, il a fallu s’assurer qu’il était accessible à la prise en charge et qu’il pouvait répondre aux stimuli du contre discours, souligne Naoufel Gaied, chef adjoint de la mission de lutte contre la radicalisation violente au sein de l’administration pénitentiaire. S’il avait été entièrement fermé à tout discours contraire à son idéologie, il aurait été en QI (quartier d’isolement). Même prosélyte.”

Fin octobre, ce détenu pas comme les autres “inaugurait” donc le QPR du centre pénitentiaire de Luynes, situé dans le nouveau bâtiment Luynes 2, en face du quartier disciplinaire, en lieu et place du quartier d’isolement, transféré lui dans l’ancien bâtiment.

“Les travaux ne sont pas terminés, d’où un remplissage progressif, précise Vincent Dupeyre, le chef de l’établissement aixois. Un deuxième détenu devrait arriver d’ici peu, nous en aurons six d’ici à janvier et dix-neuf en septembre prochain.”

Ils resteront six mois minimum dans cette aile, dotée de deux cours de promenade murées et grillagées au plafond, d’une salle de sport et d’une petite bibliothèque. La durée du “séjour” est renouvelable. Au cours de cette période, ils verront un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, un éducateur spécialisé, un psychologue et des islamologues “car il est indispensable de lutter contre le complotisme” mais aussi “de faire la différence entre le rigorisme religieux et le reste”. “L’idée est de ne jamais aller dans la confrontation de croyance, insiste Naoufel Gaied, mais tenter d’amener à l’élargissement, l’ouverture d’esprit. Il faut créer du débat et de la discussion. Pour cela, en face, il faut des islamologues calés.”

Trois ans après l’ouverture du premier QPR à Lille-Annouellin, l’administration pénitentiaire confie “rester humble quant aux résultats car le recul n’est encore pas suffisant”. Trois-quarts de ces détenus passés en QPR seraient de retour en détention normale car “désengagés de la violence”. Le quart restant a été transféré en QI ou est toujours pris en charge dans ces quartiers “étanches”.

Les chiffres

Au niveau régional : 130 détenus sur 8 200 font l’objet d’un suivi régulier de la part d’une cellule interrégionale de l’administration pénitentiaire, dont 37 sont mis en cause dans une affaire de terrorisme. Les autres sont susceptibles de radicalisation. 6 quartiers d’évaluation (QER) : 1 à Fresnes, 1 à Osny, 1 à Fleury Merogis, et 3 à Vendin-le-Vieil. La session d’évaluation dure quatre mois. À l’issue, 12 à 15 % des détenus, les plus violents, sont orientés en quartier d’isolement (QI) et 12 à 15 % en quartier pour la prise en charge des radicalisés (QPR). Les autres retournent en détention normale. Au niveau national, 378 détenus sont passés par ces quartiers d’évaluation. Il en resterait 70 à évaluer.

4 quartiers pour la prise en charge des radicalisés (QPR) : Lille-Annouellin, le pionnier ouvert en 2016, Condé-sur-Sarthe, la Santé ouvert en mai dernier, et Luynes, le seul dans le Sud, ouvert le 28 octobre. Le placement d’un détenu en QPR est d’une durée de 6 mois renouvelable après avis de la commission pluridisciplinaire. En moyenne, la prise en charge est de 19 mois. La capacité maximale du QPR de Luynes est de 19 places. Elle devrait être atteinte en septembre prochain.

L’interview : “C’est une attente légitime de la société civile”

François Toutain, chef de la mission de lutte contre la radicalisation violente, et Guillaume Piney, adjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille, ont répondu à quelques questions.

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