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Finlande : on a visité une "prison ouverte"

Faire des centres de détention des lieux humanisés, où l’on chasse l’ennui et l’on prépare l’avenir, le tout à l’air libre : telle est l’ambition des “prisons ouvertes” de Finlande, qui concernent un détenu sur trois. À Suomenlinna, charmant îlot rocheux au large d’Helsinki, cette utopie concrète apparaît comme l’antithèse des mitards glauques et surchargés à la française.

Y en a-t-il un là, assis à la proue du ferry, humant les embruns ? Ou bien un autre, crapahutant sur ce sentier de terre ocre, aux abords d’un groupe de touristes chinois ? Ou alors parmi ces ouvriers qui, durant leur pause sandwich, admirent les deux oies bernaches venues quémander quelques miettes de pain Ils sont ici et ailleurs, incontournables et invisibles à la fois, les cent prisonniers de l’île de Suomenlinna.

Cent hommes purgeant leur peine au milieu des visiteurs, des touristes et des oiseaux, en surplomb des eaux glaciales de la mer Baltique, à vingt minutes de bateau du centre d’Helsinki. Suomenlinna : une forteresse édifiée en 1748 sur un chapelet d’îlots rocailleux afin de protéger la capitale des invasions maritimes, devenue aujourd’hui l’adresse atypique du centre pénitentiaire ouvert le plus avant-gardiste du pays.

Oui, ils se baladent à l’air libre, un boîtier GPS accroché à la cheville. Ils prennent le bateau quand bon leur semble, pour aller travailler, rendre visite à des proches ou faire quelques emplettes dans la capitale. Ils se mêlent au million de visiteurs parcourant chaque année cette île vedette du tourisme local, prisée aux beaux jours pour les pique-niques autant que pour les photos de mariage. Surtout, ce sont eux qui, revêtus de la doudoune jaune fluo des agents municipaux, ont pour mission de réparer les dégâts du temps passé sur les murailles de l’île – un monumental bastion classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Lettre de candidature

Pour entrer dans la prison de Suomenlinna, nul besoin de clé ni d’autorisation spéciale. Il suffit de suivre le chemin partant du port, longeant le petit supermarché, puis la bibliothèque publique, le musée militaire et celui des jouets. Enfin, derrière un terrain de basket, apparaît le pénitencier, établi en ces lieux depuis 1971.

“Ici, il n’y pas de clé. La clé, c’est la confiance”

À première vue, on dirait plutôt un village vacances assoupi, avec sa poignée de bungalows en bois, tout juste séparé du monde par une barrière roulante laissée grande ouverte. Si bien qu’il n’est pas rare que quelques excursionnistes égarés errent dans la courette, ou confondent la cantine avec un restaurant champêtre. Dans le bâtiment principal s’alignent les boîtes aux lettres personnelles des pensionnaires. Sinikka Saarela, la directrice, discute, détendue, avec un groupe de détenus. “Ici, il n’y pas de clé. La clé, c’est la confiance”, résume simplement la cheffe, que chacun appelle par son prénom.

La confiance, comme dans les vingt-six prisons ouvertes réparties sur le territoire finlandais. Soit environ un millier de détenus sur les quelque trois mille que compte le pays. Ce modèle nordique, développé depuis les années 1960, s’intègre dans un schéma plus global de “désincarcération” limitant au maximum la détention provisoire et favorisant les travaux d’intérêt général et la liberté conditionnelle (souvent sous surveillance électronique). Selon les dernières études de l’Agence nationale finlandaise des sanctions criminelles, les prisons ouvertes entraînent un taux de récidive inférieur de 20 % à celui des incarcérations classiques, et des tentatives d’évasion très limitées.

Pointer une fois par jour à Suomenlinna, cela se mérite. Lettre de candidature, examen minutieux du dossier carcéral et entretien de motivation prévalent à l’acceptation dans ce lotissement en liberté surveillée. Une fois sur place, il faut être irréprochable. Aucune goutte d’alcool et pas un gramme d’une substance toxique prohibée ne sont tolérés. “Au moindre écart, explique Sinikka Saarela, c’est retour à la prison “normale”, et cela fonctionne bien. En réalité, le principal risque pour les détenus est la saison estivale. Avec tous les jeunes qui viennent boire et fumer aux abords de la prison, les tentations sont grandes.

“J’ai tué quelqu’un”

Ici, pas de policiers en uniforme, mais trente-quatre agents des services sociaux qui veillent au délicat processus de réintégration de ces hommes aux profils variés, purgeant des peines allant de quelques mois à plusieurs années, dont une majorité traînant derrière eux des problèmes de toxicomanie.

“Notre objectif n’est pas de punir mais de favoriser le retour dans la société”

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