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États-Unis : des millions gagnés sur le dos des prisonniers via des services de messagerie payants

Certaines prisons ont interdit l'envoi et la réception de courrier papier, obligeant les détenu·es et leurs proches à passer par des services privés et payants.

Certaines prisons ont interdit l’envoi et la réception de courrier papier, obligeant les détenu·es et leurs proches à passer par des services privés et payants.

Quand elle a voulu envoyer une carte d’anniversaire à son fils détenu dans une prison de la Nouvelle-Orléans, Dianne Jones a découvert que l’établissement venait d’interdire l’envoi de cartes de vœux. Pour transmettre un message à un·e prisonnier·e, il fallait désormais passer par voie électronique. Mais pas n’importe laquelle: celle proposée par le service JPay, une entreprise qui gère des transferts d’e-mails, d’argent, et une plateforme d’appels vidéo pour les établissements pénitentiaires.

À l’image de JPay, plusieurs entreprises privées se sont emparées de ce marché confidentiel des communications carcérales, et fournissent un service rudimentaire de messagerie déconnecté du reste du Web. JPay est ainsi implanté dans vingt États à travers le pays, et près de la moitié des systèmes pénitentiaires fédéraux sont équipés avec des outils de ce type.

Un, deux, trois timbres…

Simple et efficace, ce système a pourtant un coût. Non pas pour les prisons, JPay prenant en charge le prix d’installation, mais pour les prisonnier·es. Chaque message requiert un “timbre” électronique pour être envoyé. Or chaque page d’écriture vaut seulement pour un “timbre”; chaque image coûte un «timbre» supplémentaire; chaque clip vidéo nécessite trois “timbre” de plus.

Quant au prix, il fluctue selon la saison. Peu avant la fête des mères, un “timbre” coûtait 35 centimes de dollars. Une semaine plus tard, il était passé à 47 centimes. Un appel téléphonique comptera quant à lui 21 centimes à la minute. Pour les détenu·es les plus fortuné·es, quelques centaines de dollars permettent de sauter les files d’attentes devant les ordinateurs pour acheter une tablette, où ils peuvent retrouver les services de JPay.

La prospérité de ces entreprises est basée sur le fait que quel que soit le prix demandé, les détenu·es et leurs proches seront toujours prêts à le payer, l’échange de messages étant parfois leur seule possibilité de contact. Profitant d’une quasi-absence de concurrence, les entreprises de messageries électroniques pénitentiaires profitent également de l’isolement des prisonnier·es, dont le travail derrière les barreaux est généralement rémunéré entre 20 et 95 centimes de l’heure.

Contactée par Wired, la directrice marketing de JPay, Jade Trombetta, justifie: “Une partie de la mission de JPay est de fournir une technologie qui donne à ces personnes un accès à des outils éducatifs, et les aide dans leur processus de réadaptation”.

Un, trente, soixante-dix millions…

C’est d’abord en tant que service de transfert d’argent vers les établissements carcéraux que JPay s’est développé, à partir de 2002 –là encore, l’entreprise prend une commission sur les sommes envoyées, qui peut s’élever jusqu’à 11,95€.

Dès 2011, avec 1,2 millions de clients en détention, JPay déclarait 30,4 millions de dollars de revenus (soit 27,24 millions d’euros). Trois ans plus tard, en 2014, ses recettes avaient plus que doublé, s’élevant à 70,4 millions (63,1 millions d’euros), notamment grâce à quelques 14,2 millions de messages transitant par sa plateforme.

Les systèmes pénitentiaires profitent également de ces opérations, en récoltant une commission d’environ 5 centimes par message. Au total, cela peut constituer des bénéfices allant jusqu’à 710.000 dollars (636.000 euros).

Dans certains États, comme l’Indiana, la politique de JPay a provoqué des contestations. En 2017, deux détenus, Charles Sweeney et Anthony Delarosa, ont intenté une action en justice contre le Département correctionnel de l’Indiana, dénonçant les restrictions postales subies comme des violations des droits garantis par les premier et quatorzième amendements. En mai 2018, un juge fédéral a estimé que les plaignants pouvaient lancer un recours collectif. Actuellement, c’est donc au nom des 26.000 prisonniers de l’État qu’ils ce qui signifie qu’ils poursuivent maintenant au nom des près de 26000 prisonnier·es qu’ils défendent leurs droits.