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Source :  Nouvel Obs

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En Suisse, l'évasion n'est pas condamnée : "on ne peut leur reprocher de vouloir vivre en liberté"

Le scénario est digne d’un savoureux polar. Le 10 août 1983, Licio Gelli, dit “le Marionnettiste”, s’évade de la prison de Champ-Dollon, à Genève, par la grande porte. L’homme dont le nom est apparu à plusieurs reprises dans les scandales financiers et politiques de l’Italie des années 1970 et 1980 se fait la belle, tapi dans le coffre de la camionnette d’un surveillant.

Une fois la frontière française traversée, il grimpe dans un hélicoptère à Annecy, direction Monaco. Pour retarder sa traque, l’ex-numéro 1 de la loge maçonnique P2 avait pris le soin de laisser un mannequin de papier dans le lit de sa cellule. Comble du rocambolesque : l’histoire veut que la camionnette du surveillant qu’il avait soudoyé n’ait pas démarré tout de suite. C’est un autre gardien qui a poussé le véhicule et Licio Gelli vers la sortie…

Le financier se rendra quatre ans plus tard : en 1987, il retourne en Suisse se constituer prisonnier, avant d’être extradé vers l’Italie. Le gardien complice est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis – Gelli lui avait fait miroiter de doubler son salaire en l’engageant comme garde du corps. Quant à l’évadé, il écope de seize mois de prison, retrace “la Tribune de Genève” : pas pour s’être fait la malle, non, mais pour avoir corrompu le gardien.

Car en Suisse, s’évader n’est pas une infraction. Si toutes les infractions commises lors de l’évasion sont punissables (dommages à la propriété, vol, prise d’otage, lésions corporelles, etc.), la simple fuite ne l’est pas. Elle renvoie à une passionnante question philosophique : peut-on reprocher à un homme enfermé son goût pour la liberté ?

Portes ouvertes

En France, le fait pour un détenu de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis est puni de trois ans de prison et de 45.000 euros d’amende. La peine est portée à cinq ans d’emprisonnement lorsque l’évasion est “réalisée par violence, effraction ou corruption” (cf. article 434-27), à l’image de celle de Redoine Faïd, le 1er juillet dernier.

La loi Perben II, entrée en vigueur en 2004, a durci les dispositions à cet égard. Avant cette date, le Code pénal punissait uniquement les évasions quand elles étaient réalisées avec “violence”, “effraction” ou “corruption”. L’évasion “par ruse” n’était pas sanctionnée. Un détenu ayant profité d’une “situation fortuite” ou d’un défaut de surveillance ou d’inattention n’était pas poursuivi.

Ainsi, s’il avait agi quelques mois plus tôt, ce détenu évadé en juillet 2004 en se dissimulant sous des cartons, dans la benne à ordures de l’atelier où il travaillait en prison, n’aurait pas été condamné.

Idem pour ce détenu ayant poussé les portes du bâtiment A des Beaumettes, jusqu’à se retrouver dans la cour d’honneur de la prison. “Je suis policier. Je suis en mission secrète”, avait-il tenté de faire croire, en vain, au surveillant, à un sas de la sortie.

Aspirer à la liberté

Si la Suisse voisine ne condamne pas la simple évasion, c’est d’abord parce que cela serait contraire à leur principe d’auto-favorisation. Ainsi, un citoyen a le droit de ne pas s’auto-incriminer (de faire un faux témoignage pour se protéger, par exemple). Pour simplifier, disons qu’on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir agi en sa faveur, dans le cas d’une procédure pénale.

Ce n’est pas la seule raison. André Kuhn, professeur de droit pénal et de criminologie à la faculté de droit de Neuchâtel, dans le canton suisse du même nom, en avance une seconde :

Historiquement, cela vient du fait que, depuis que l’on a érigé la liberté en bien suprême et en droit fondamental au XVIIIe siècle, on ne peut pas reprocher à une personne d’aspirer à vivre en liberté et donc de tout faire pour la retrouver si elle en est privée.

Il ajoute :

En criminologie, constatant que le fait de sanctionner l’évasion (comme le fait par exemple la France) n’a pas d’effet dissuasif sur les personnes enfermées, on préfère laisser aux détenus la perspective de la liberté (par des peines à durée déterminée et en les laissant songer à l’évasion) dans le but de rendre la privation de liberté supportable, ce qui favorise par ailleurs leur participation à des programmes de réinsertion destinés à limiter, autant que faire se peut, la récidive.

S’évader, “une obsession”

Yvan Jeanneret, avocat à Genève et professeur au département de droit pénal de la faculté, se souvient de ce que lui avait dit un directeur d’établissement pénitentiaire – l’homme ne le répéterait jamais à une journaliste, précise-t-il.

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