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Arabie Saoudite : la militante Loujain al-Hathloul "n'aurait jamais dû être arrêtée ni mise en prison", affirme Amnesty International

A 31 ans, Loujain al-Hathloul se bat pour défendre le droit des femmes dans son pays, l’Arabie saoudite. Un combat qui l’amène en prison : elle vient en effet d’être condamnée à près de six ans de réclusion. Mais elle pourra peut-être sortir dans quelques mois, car le tribunal a tenu compte des deux ans déjà passés derrière les barreaux. Une partie de la famille de la militante vit en Belgique et elle est d’ailleurs docteur honoris causa de la faculté des sciences politiques de l’UCL.

Loujain al-Hathloul a notamment milité pour un droit bien spécifique en Arabie saoudite : le droit pour les femmes de prendre le volant, accordé depuis. La militante a en réalité été condamnée pour de nébuleuses activités prohibées par la loi antiterroriste, une loi fourre-tout qui permet au royaume saoudien de punir les défenseurs des droits de l’homme.

Les conditions de détention de Loujain al-Hathloul ont été “abominables”, explique Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique, “avec des violences, de la torture, des sévices sexuels et une mise à l’isolement de façon régulière. Elle n’aurait jamais dû être arrêtée ni mise en prison, et certainement pas soumise aux violences que l’on a pu constater”, affirme-t-il.

Selon Philippe Hensmans, le procès de Loujain al-Hathloul, ainsi que sa probable libération dans deux mois, sont “le symbole de ce qu’est ce régime saoudien aujourd’hui” : “Des accusations qui sont extrêmement vagues et qui peuvent conduire devant un tribunal spécial contre le terrorisme, tribunal spécial qui lui-même peut condamner des personnes sur base de critères comme la désobéissance au souverain, la remise en cause de l’intégrité des représentants de l’État et du système judiciaire ou encore l’incitation à des troubles à l’ordre public”, raconte-t-il.

Car les militants n’ont pas droit à un avocat, ni pendant l’arrestation, ni pendant les interrogatoires. “Nous avons pu suivre les cas de 95 personnes, essentiellement des hommes, qui ont été jugés, condamnés ou dans l’attente d’un procès entre 2011 et 2019”, note Philippe Hensmans. Parmi eux, au moins 28 ont été condamnés à mort sur base d’aveux arrachés sous la torture.

Ce n’est pas la première fois que Loujain Al-Hathloul est arrêtée. Elle l’avait déjà été en 2014, alors qu’elle avait traversé la frontière entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite au volant d’une voiture. Elle était sortie de prison 73 jours plus tard, après une campagne internationale. Aujourd’hui, les droits des femmes ont un tout petit peu progressé dans le royaume, mais le chemin est encore long. “Les droits des femmes sont encore très, très limités dans une série de domaines, à la fois en droit et en pratique, qu’il s’agisse du mariage, du divorce, de l’héritage, de l’autorisation de délivrer une nationalité à ses enfants, rappelle Philippe Hensmans. Il y a un grand nombre de femmes qui continuent d’être arrêtées aujourd’hui pour avoir désobéi à leur tuteur masculin.”

Selon des médias saoudiens, la peine de Loujain al-Hathloul est assortie d’un sursis de deux ans et dix mois “à condition qu’elle ne commette pas de nouveau crime dans les trois ans”. Le tribunal a également interdit à la militante de quitter le royaume pendant cinq ans, a ajouté Lina al-Hathloul, sa sœur.

“Loujain a pleuré quand elle a entendu la condamnation aujourd’hui”, a tweeté Lina al-Hathloul. “Après presque trois ans de détention arbitraire, de torture, d’isolement, ils la condamnent et la qualifient de terroriste.” “Nous sommes extrêmement déçus par ce verdict (…) Nous allons faire appel même si nous n’avons pas d’espoir dans le système judiciaire saoudien”, a déclaré à l’AFP Walid al-Hathloul, leur frère, interrogé depuis le Canada. Selon lui, “l’intervention du prince héritier (Mohammed ben Salmane) dans la procédure ne montre pas que le procès a été indépendant, elle montre plutôt qu’il avait des motivations politiques”.

L’Arabie saoudite est très critiquée par les ONG pour son bilan en matière de droits humains qui embarrasse régulièrement ses partenaires occidentaux.