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Afrique : penser la prison à l'heure de la pandémie de Coronavirus

Depuis plusieurs semaines, la pandémie de coronavirus occupe les pages et les émissions des médias (Quelques exemples ici, là ou encore là).

Or, pour une fois, elle donne lieu à quelques articles sur la situation sanitaire et sociale dans les prisons, des protestations de détenus privés de parloirs en Italie aux appels à libérer des prisonniers en France et au Sénégal par exemple. Au fur et à mesure que le virus circule d’un continent à l’autre, des prises de position d’avocats, d’ONG ou de chercheurs se multiplient, relayés par la presse et les radios tant nationales qu’internationales (Voir la déclaration conjointe d’un collectif d’ONG et d’acteurs nationaux et internationaux pour les prisons en Afrique, portée par Avocats sans Frontière-Belgique, “Face à la propagation du Covid-19, prendre des mesures urgentes et immédiates pour protéger les droits des détenus en Afrique”, 24 mars 2020 ; l’appel de chercheurs, avocats et magistrats en France, “Coronavirus : “Réduisons le nombre de personnes incarcérées pour de courtes peines ou en fin de peine”, Le Monde, 19 mars 2020, ; l’analyse de Gwenola Ricordeau, “Pourquoi vider les prisons est nécessaires”, The Conversation, 25 mars 2020.

Au moins l’épidémie aura-t-elle contribué à rouvrir le dossier de la santé en prison, en particulier les questions de la promiscuité et des conditions d’hygiène dans les lieux de détention qui seraient favorables à la transmission du virus. On peut s’interroger sur la temporalité à partir de laquelle on reconnaît et met sur l’agenda, une question sanitaire pourtant agitée depuis longtemps pour les espaces carcéraux. Il importe néanmoins d’aller plus loin dans l’analyse de la situation pour réfléchir à la place de l’institution pénitentiaire dans les politiques de santé publique comme de la dimension politique d’une telle discussion. Nous proposons de le faire à partir des prisons africaines, en nous gardant de toute généralisation à l’échelle du continent et d’une lecture afro-centrée, menée au détriment d’un propos qui se veut somme toute, universel. En effet, c’est bien à la peine de prison et à sa portée socio-politique qu’il s’agit encore et toujours de réfléchir.

Un bref rappel des situations des prisons sur le continent africain permettra de démontrer la vulnérabilité dans laquelle se retrouvent les détenus comme les personnels pénitentiaires. On cherchera alors à cerner les réponses des pouvoirs publics et des acteurs de la prison de façon plus générale. Finalement, nous réfléchirons à ce que nous dit le traitement des prisons, des politiques de la vie.

Une hétérogénéité des situations qui ne doit pas masquer une forte vulnérabilité

Les prisons en Afrique connaissent des situations diverses, tant dans le nombre d’établissements, leur localisation et leur taille. Les taux d’incarcérations sont variables, et parfois inférieurs à ce que connaissent des Etats européens ou américains. Si l’Afrique du Sud se démarque par un taux frôlant les 300 détenus pour 100 000 habitants, tel n’est pas le cas du Burkina Faso avec moins de 50 détenus pour 100 000 habitants. Quant au Cameroun, il est proche de celui de la France, oscillant aux alentours des 100 pour 100 000. Au Sénégal, la population carcérale était estimée à 11547 détenus en 2019, soit une moyenne de 68 détenus pour 100 000 habitants.

Cependant, quel que soit le taux d’incarcération, de nombreux établissements à travers le continent (et à travers le monde) sont marqués par une forte surpopulation, en particulier dans les grandes villes. Celle-ci se traduit d’abord par une insuffisance de lits pour les détenus, une promiscuité forte dans les cellules et les espaces communs. En outre, les rations alimentaires comme les infrastructures d’accès à l’eau (et d’évacuation) sont sous-évaluées dans le contexte de budgets souvent faibles. Bien des prisonniers souffrent alors de dermatose (dont la gale) et de malnutrition (dont le Béri Béri, carence en vitamine B). A ces maladies viennent s’en ajouter d’autres : la population carcérale se démarque en effet par une sur-représentation du VIH et de la tuberculose relativement au reste de la population. Les détenus relèvent donc bien des populations vulnérables telles que définies à l’heure de la pandémie de Coronavirus (Covid-19). En raison de la surpopulation carcérale dont ils sont victimes, les détenus sont vulnérables dans un contexte où la distanciation sociale est considérée comme l’arme incontournable pour rompre la chaîne de transmission du virus. Depuis longtemps, les prisons, milieux fermés et surpeuplés sont devenues des “incubateurs” pour divers virus dont la propagation serait rapide, sans sous-estimer la production historique d’une méfiance à l’égard des prisons comme vecteurs de maladies mais aussi de contamination morale.

En effet, les détenus souffrent de ruptures récurrentes de leurs parcours de soin (à l’entrée en détention quand ils sont déjà sous traitement comme à la sortie s’ils ont entamé un traitement lors de leur incarcération) et de l’absence de dépistages systématiques à l’entrée en prison. Les infirmeries, quand elles existent, manquent de matériel et de médicaments. Considérées la plupart du temps comme relevant du premier échelon du système sanitaire, elles ne sont pourvues qu’en médicaments relevant des soins de santé primaire. Pour le reste, elles sont dépendantes des dons d’ONG, d’acteurs religieux, de mécènes ou d’agences internationales. Finalement, les visites de famille, et leur participation financière, sont essentielles pour faciliter la prise en charge sanitaire du détenu malade (achat de médicaments, réalisation d’un examen ou prise en charge sanitaire hors de la prison). La santé pénitentiaire souffre d’une déconnexion d’avec les agents et les centres de santé : elle est trop souvent la grande oubliée des politiques de santé publique. Au Sénégal, la compétence de l’administration pénitentiaire ne se limite qu’à la surveillance des prisons et la sécurité des détenus. La santé et l’hygiène carcérales relèvent du ministère de la Santé malheureusement laissées pour compte par le système sanitaire.

Dans des contextes où les infrastructures de santé sont insuffisantes, porter la question de la santé carcérale à l’agenda relève presque d’une démarche illégitime. Les logiques sécuritaires l’emportent le plus souvent sur les logiques sanitaires.

La circulation active du Covid-19, et la menace épidémiologique que la prison représente dans ce contexte, impose non seulement de ne plus fermer les yeux sur le déni des droits à la santé des détenus, mais aussi, rappelons-le, sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires, gardiens comme soignants.

Premières réponses

La situation semble enfin acter que la prison n’est pas un isolat, protégé par ses hauts murs, mais bel et bien un espace poreux, produit et inscrit dans une diversité de circulations. Les administrations pénitentiaires ont pris la mesure de cette situation. Au Sénégal, l’inquiétude grandissante des agents de la division médico-sociale de l’Administration pénitentiaire les a conduits à interpeller le ministre de la Santé pour que des mesures de contrôle médical et d’hygiène soient immédiatement prises dans les prisons. Très souvent, des visites ont été interdites. Toutefois, il est essentiel d’insister sur la dépendance des prisonniers à leur famille (argent, aliments, médicaments mais aussi soutien moral) et inversement, de celles-ci vis-à-vis de certains détenus qui réussissent à exercer des activités génératrices de revenu (informelles ou criminelles). Rompre ce lien peut avoir des effets dévastateurs dans la vie des prisonniers et de leurs proches. A la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), si les visites ont été suspendues, un système de colis (qu’il demeure nécessaire de désinfecter) a été mis en place. Cela ne remplace pas une visite quand bien même la circulation illégale de téléphone n’est un mystère pour personne (sous condition de disposer d’unités téléphoniques). Au Sénégal, l’administration pénitentiaire n’a pas encore interdit, mais plutôt réduit les visites familiales, en promettant un dispositif de communication à coût réduit afin de permettre aux détenus de garder le contact avec leurs familles. En revanche, toutes les autorisations d’accès des établissements pénitentiaires accordées aux représentants diplomatiques, associations, organisations non gouvernementales, étudiants et chercheurs ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre.

Cependant, on doit aussi réfléchir à d’autres circulations, notamment vers le tribunal. S’agira-t-il de suspendre les procès, comme l’a fait la Guinée, le Sénégal, ou encore, partiellement, le Gabon (sauf pour les infractions les plus graves, les délibérations et les demandes de mise en liberté provisoire) ? Au risque d’allonger des durées de détention préventive outrepassant déjà les délais légaux ? Comment garantir en miroir les visites des avocats ? La crise sanitaire ne saurait justifier une suspension des droits !

Il se pose aussi la question des nouveaux entrants. Et enfin, on ne peut pas non plus négliger les allers-retours des gardiens qui plus est dans le contexte de villes qui le plus souvent n’ont pas mis en place de confinement en raison de son coût social, économique et politique.

Bien évidemment, on peut envisager la mise en application des gestes barrières et ne pas renoncer à la sensibilisation : prendre la température des visiteurs et des gardiens, obliger à laver les mains à l’entrée, mettre des seaux d’eau javellisée, ou avec du savon, à défaut du gel hydroalcoolique en suffisance dans les quartiers de détention et dans les bureaux de l’administration et enfin, équiper les agents de santé de moyens de protection (masques, gants, surblouses). Il serait d’ailleurs temps de s’appuyer sur des détenus relais, ayant des compétences dans le champ de la santé acquises antérieurement à leur incarcération, ou encore sur ceux ayant l’expérience de la maladie, en portant attention aux langues d’expression en présence (affichage, réunions de sensibilisation…). Cela est d’autant plus nécessaire ue dans de nombreux pays où les associations, ONG (dont les autorisations sont désormais souvent suspendues) apportaient une réponse à certains besoins sanitaires des détenus. Reste à savoir si ces actions sont tenables dans la durée et réplicables dans toutes les prisons d’un même pays, en particulier pour des raisons financières.

Dépister à l’aide de kits les gardiens comme les nouveaux entrants est une gageure, tant les premiers manquent. En outre, les individus dépistés doivent-ils encore être isolés des autres détenus, un autre défi en contexte de surpopulation. Quant au port du masque, là encore, la pénurie est de mise.

On ne s’étonnera donc pas des appels à libérer des détenus émanant d’ONG (en Afrique Sud ou au Cameroun par exemple) et d’avocats (en Algérie) le plus souvent, afin de permettre aux autorités sanitaires de pouvoir contrôler et protéger le milieu carcéral : les plus âgés par exemple, les plus vulnérables ou encore selon le temps restant à faire ou le type d’infraction. Si la loi ne le permet pas, un décret présidentiel est envisageable, pour des grâces, fréquentes sur le continent et auxquelles l’Ethiopie vient d’ailleurs de recourir le 25 mars dernier dans les prisons de Kilinto, Shewarobit, Ziway, Dire Dawa et de Qualiti. Au Kenya, des détenus de la prison de Shimo La Tewa effectueront leur fin de peine à domicile en réalisant des travaux d’intérêt général. Le Niger a également annoncé avoir libéré 1540 détenus. Au Sénégal, le Président de la République a gracié 2036 détenus, condamnés pour des infractions diverses et incarcérés dans plusieurs établissements pénitentiaires à travers le pays. Les libérations concernent principalement les détenus bénéficiant d’une remise totale ou partielle de peine, de mineurs, grands malades ou âgés de plus de 65 ans. On peut aussi compter les commutations de peines de perpétuité à 20 ans de réclusion criminelle facilitant d’autres libérations immédiates. Il faut signaler que les détenus condamnés pour meurtre, viol, pédophilie, trafic de drogue, vol de bétail ont été exclus de la mesure de grâce.

On pourra se reporter au site de Prison Insider qui collecte les actions entreprises pays par pays et continent par continent au fil des jours. Dans ce contexte, on remarque que les détenus politiques font l’objet d’appels à libération : c’est le cas en Égypte ou encore au Niger. Si très souvent, ces détenus ont permis de donner un écho aux conditions d’incarcération, on ne pourra pas se contenter d’une libération faisant fi des prisonniers de droit commun.

Ce que la pandémie dit de la prison : une politique des droits

L’accès aux soins reste un droit et son déni ne saurait s’ajouter légitimement à la peine déjà subie. Or, dépister des détenus, entrants ou non, ou même dépister des gardiens, si tant est que cela soit envisageable, implique ensuite de soigner : en aménagement des cellules disponibles, en construisant des abris dans les cours et en distribuant les médicaments nécessaires, en empêchant la contamination. Cela requiert que la santé en prison soit inscrite clairement dans le dispositif des systèmes de santé et de soins et qu’elle ne soit pas laissée aux initiatives des associations et des organisations de droit de l’homme. Il faut aussi que les ministères de tutelle s’engagent à investir dans ce domaine, au nom du principe du droit à la santé pour tous.

La crise sanitaire actuelle démontre qu’une conscience existe : celle de l’inscription de la prison dans des environnements sociaux et des circulations qui se font entre elle et l’extérieur. Rien de nouveau à cela au sein des sciences sociales, si ce n’est que le mythe de l’impénétrabilité de la prison, au prétexte d’enjeux sécuritaires et punitifs tombe un peu plus ouvertement. Priver les détenus des soutiens extérieurs, c’est s’exposer à des mutineries. Priver les détenus de soins, les médecins pénitentiaires le savent, c’est faire des établissements de nouveaux foyers épidémiques. On ne pourra donc continuer à fermer les yeux sur la place légitime de la prison, des détenus et des personnels dans les politiques de santé publique, à des fins de lutte contre les épidémies (le coronavirus aujourd’hui, Ebola demain encore et finalement déjà le VIH, la tuberculose et les hépatites). Cette reconnaissance ne saurait toutefois se limiter à des enjeux pragmatiques. Elle doit aussi déboucher sur des processus de décriminalisation des infractions les moins graves et à une mise en place effective des peines alternatives tant la surpopulation carcérale ne connait pas de fin. Elle doit surtout être une opportunité pour parler des droits des détenus et par ricochet des droits que nous défendons ou laissons bafouer par les États, en Afrique comme ailleurs.